Installée entre Rezé et Le Mans, la compagnie Organic Orchestra mêle le spectacle vivant aux sciences depuis maintenant plus de 10 ans. Du 9 au 12 septembre prochain, elle présentera à Rezé « Oniri 2070″, son nouveau spectacle. Rencontre avec Ezra, beatboxer et directeur artistique du collectif.
Vous présentez Oniri 2070 comme « un voyage poétique, sonore et visuel (…), un archipel fantastique et mouvant, conté par des témoignages glanés au gré de la route ». Quel a été le point de départ de cette démarche ?
Ezra : Nous sommes partis de la question « comment imagines-tu la cité de tes rêves dans 50 ans ? ». À partir de cela, la réalisatrice et performeuse Juliette Guignard a réalisé des entretiens d’architectes, de scientifiques et de personnes de tous milieux qui y ont répondu avec un minimum de contraintes. Le résultat donne un documentaire fiction auquel on ajoute de la musique, des images réalisées en direct par Alex Machefel, ainsi que des samples de matières sonores réelles, du beatbox et des objets.
C’est un spectacle itinérant et immersif, mais aussi « autonome en énergie ». C’est-à-dire ?
E : Nous utilisons moins de 1kWh par représentation, soit l’équivalent en énergie d’une bouilloire. Nos batteries se rechargent par panneau solaire. On fait des tournées en vélo, on déplace le système de diffusion, les instruments, on s’arrête quatre ou cinq jours sur un territoire pour y jouer plusieurs performances. En plus de la sobriété énergétique que cela produit, cela permet de s’imprégner d’un lieu, d’une scène, ce qui est impossible si l’on ne propose qu’une seule fois le spectacle.
Cette manière de tourner constitue-t-elle le futur du spectacle vivant ?
E : Nous ne sommes pas futurologues, mais on fait de la prospective à notre échelle, avec les enjeux poétiques qui nous intéressent comme le numérique, la mécanique… Mais comment le faire de manière plus sobre ? L’année dernière, en temps de Covid, on a réussi à jouer 26 représentations, c’est exceptionnel, mais cela n’est possible qu’avec de petites jauges de public et une certaine autonomie. Je pense que le spectacle vivant doit s’orienter vers cela, c’est-à-dire réussir à jouer moins loin, avec des transports moins gourmands, de nouvelles logiques comme l’indépendance technique et des représentations hors du circuit classique des salles.
On peut mettre en lien vos valeurs avec celles de Pick Up Production, notamment cette notion d’utopie urbaine et de lieu intermédiaire. Comment perçois-tu le site de Transfert ?
E : Je connaissais Transfert avant que ça sorte de terre et je connais bien l’association Pick Up Production depuis 2006. Il y a deux ans, nous y avions même effectué une carte blanche. Nous avons des points communs évidents : on récupère et on fabrique ! Nos remorques de vélos sont aussi nos caissons de basses ! Ce qui est super, c’est qu’avant même de mettre le spectacle Oniri 2070 en forme, nous parlions déjà de le jouer à Transfert et de tisser du lien avec les quartiers d’à côté. Il y a une poésie qui se crée entre ce site et ses alentours car c’est un espace de vie, de création, d’ateliers et de pédagogie.
Penses-tu que l’esprit de Transfert peut perdurer, même après le projet immobilier prévu à cet endroit ?
E : Ce serait pertinent ! Transfert a réussi le pari de rassembler pas mal de monde notamment des gens très différents, malgré les critiques et quelques problèmes de voisinage. J’espère que ce qu’ils font germer se développera et perdurera à l’arrivée du nouveau quartier.
Imagines-tu un quartier d’habitations sur ce site tout en gardant l’esthétique de Transfert ?
E : C’est un lieu atypique à la scénographie unique, un espace aride construit sur des décombres avec une histoire… compliquée. J’adore cette ambiance désertique mêlée à des installations massives. On est presque dans une civilisation post-apocalyptique, ce que je ne souhaite pas dans 50 ans !
Justement, à quoi ressemblerait la ville de tes rêves dans 50 ans ?
E : Déjà, ça ne serait pas une ville ! Le mot « ville », c’est « vilain » par essence (rires). Avec Organic Orchestra, nous parlons plutôt de « cité » car cela induit le rapport même entre ses habitants. J’aime imaginer des villages, des échelles plus petites et donc un lien plus étroit entre les gens, entre les différentes générations car la proximité s’avère plus naturelle. Je préfère imaginer cela comme plusieurs archipels plutôt que d’énormes hubs comme c’est aujourd’hui la tendance. J’aurais tendance à recréer des micro-centres d’achats plus proches peer-to-peer (pair-à-pair). L’idée est de se rendre plus indépendant, notamment en terme de maîtrise alimentaire car nous pouvons cultiver nos ressources. Bref, il faut faire avec « moins » !
Interview réalisé par Jeanne Rouxel et Pierre-François Caillaud (rédactrice et rédacteur en chef de Grabuge Magazine).
Photos © Clément Szczuczynski, Davis Gallard, Nico Dorbon