Pour la réouverture tant attendue du Remorqueur en format « club », Transfert a fait appel à la société bouguenaise Arbane Groupe, spécialisée dans les solutions de sonorisation de lieux publics (salles de spectacles, lieux de culte, gares, etc.), qui expérimente tout l’été sa nouvelle technologie de « son spacialisé ». Rencontre avec Régis Cazin, président d’Arbane Groupe.
Comment êtes-vous arrivé à collaborer avec Transfert ?
Nous avions déjà travaillé avec leur équipe il y a un an en sonorisant une esplanade pour Transfert, mais cette année nous voulions aller plus loin en investissant de façon originale le Remorqueur.
Qui cette année revient à son usage précédent, un lieu de fête…
…historique pour les Nantais, qui en ont gardé des souvenirs que l’on n’a pas forcément envie de raconter (rires). Pour le sonoriser, nous avons installé plein de petites enceintes afin de proposer un son « spacialisé ».
C’est-à-dire ?
Avec cette technologie immersive, le son peut se localiser à gauche, à droite, en haut, en bas. Au même titre que le cinéma 3D ou le son 5.1, l’enjeu c’est de savoir quoi en faire. Cette réponse sera donnée par les artistes, notamment les dj’s du Remorqueur qui vont découvrir notre système et pouvoir expérimenter avec le public ce système que l’on a développé. Avec une interface très simple qui calcule elle-même tous les algorithmes, l’artiste pourra choisir de déplacer en temps réel certaines pistes ou fréquences à certains endroits et pas à d’autres. La musique peut potentiellement tourner autour de vous, par exemple. Tout l’été, nos ingénieurs recueilleront les retours d’expérience des artistes et des visiteurs pour que nous puissions tout affiner, trouver des solutions à d’éventuelles problématiques. C’est un véritable terrain d’expérimentation pour nous.
En dehors de l’aspect créatif, quel est l’intêret de ce son « spacialisé » ?
Dans une salle de spectacle ou même dans un lieu comme Transfert, cela permet d’obtenir un son homogène sur l’ensemble de la zone voulue. Que vous soyez placé devant la scène ou tout au fond, vous aurez la même expérience de son, ce qui est impossible avec les deux « grappes » d’enceintes qui entourent habituellement la scène et arrosent autant le public que les habitations autour. C’est confortable à l’oreille et cela permet d’éviter d’augmenter sans cesse le volume général et donc éviter les risques de nuisance sonore pour les spectateurs et les voisins, ce qui est un véritable enjeu pour les festivals ou les bars.
Plus qu’avant ?
La notion de nuisance sonore n’est pas nouvelle, mais la réglementation s’est durcie au milieu des années 2000, et même encore récemment avec de nouvelles directives ayant à nouveau abaissé le niveau sonore maximum. Tout cela génère des plaintes et des fermetures d’établissement.
À tort ou à raison ?
C’est aujourd’hui considéré, à raison je pense, comme un problème de santé publique. On ne s’en rend pas compte lorsqu’on est dans un bar et que l’on fait la fête, mais je comprends que si les nuisances sonores sont quotidiennes, cela tape sur le système des gens, au même titre que d’habiter à côté d’une ligne de chemin de fer, d’un périphérique ou d’un aéroport. Ce n’est pas pour rien que l’on parle de « pollution sonore ». Les nuisances sonores sont des déchets, nous n’avons pas à les jeter dans la rue. Mais c’est effectivement compliqué, le son se transmet par conduction mécanique, il fait vibrer les murs et donc se propage. On ne peut pas se contenter d’un « filtre », car on n’arrête pas le son, c’est donc à la source qu’il faut travailler, d’où l’importance de maîtriser la directivité du son en le diffusant seulement là où l’on le désire.
Somme-nous plus intolérants aux nuisances sonores aujourd’hui qu »avant ?
Non, je pense que le niveau du son est bien trop fort. C’est une aberration de devoir mettre des bouchons d’oreille dans un concert ! C’est justement parce que le son n’est pas homogène qu’on augmente le volume et que ,dans certains endroits, cela devient dangereux. On n’entend pas mieux à 100 décibels qu’à 97 décibels, le cerveau ne fait la différence. Or, tous les trois décibels, on double la puissance, donc les risques.
Cette spacialisation du son pourrait-elle être mise ne œuvre dans des espaces publics, comme un quartier d’habitation ou une place de village, par exemple ?
Les communes ont de plus en plus besoin de réanimer leur cœur de ville. Le public fait ses courses dans les zones périphériques, les commerçants s’en plaignent, les centres deviennent morts et c’est une aberration écologique. Le son peut en partie y remédier. On dit que la musique adoucit les mœurs, ce n’est pas pour rien. Je préférerais plus de musique et moins de bruit dans la rue, cela améliorerait la paix civile. J’imagine bien de la musique « chill », pas agressive, avec très peu de paroles pour ne pas avoir à se concentrer dessus. Le son devra être maîtrisé, en direction des trottoirs, mais pas des habitations. Il doit aussi s’adapter au plus grand nombre, il ne faut pas en abuser en y insérant des publicités ou des messages inintéressants.
Est-ce qu’un projet tel que Transfert est imaginable au sein même du nouveau quartier qui émergera dans la zone Pirmil-Les Isles ?
Je l’espère ! Je me verrais bien habiter dans un quartier construit autour de ce genre de lieu. Je ne connais pas le projet immobilier en détail, mais si c’est un quartier que l’on souhaite vraiment différent, on peut garder le centre de Transfert comme une agora, au sens grec du terme, une place centrale pour les rencontres et les débats. Il serait possible de proposer un accord avec les futurs habitants, par exemple « vous venez, mais acceptez qu’il y a ce lieu qui potentiellement diffusera de la musique à certaines occasions ». Moi, ça me tenterait !
Interview réalisée par Pierre-François Caillaud (rédacteur en chef de Grabuge magazine)
© Arbane Groupe