Cet été, Aurore Stalin et Lisa Fouché de l’association Slow Danse ont rencontré Transfert lors d’un workshop et d’une carte blanche. Elles décèlent les manières de voir et d’arpenter le paysage autour de thèmes précis : la marche et les pratiques géo-artistiques.
« Reprendre ce qui nous entoure est une manière de re-poétiser des espaces délaissés. »
Depuis qu’il s’est levé, l’humain marche et se déplace sur de courtes ou de plus longues distances par un mouvement alternatif des jambes tout en étant toujours en appui au sol. Si marcher dans des paysages naturels relève du loisir, marcher dans la ville est principalement lié à un déplacement fonctionnel, utilitaire.
Y aurait t-il moins de poésie dans le minéral que dans le végétal ?
Quelles sont les valeurs de Slow Danse ?
• Aurore Stalin : l’association sollicite des projets chorégraphiques en milieu naturel, mais pas que. Nous questionnons les enjeux environnementaux, notre relation à la nature et l’éco-responsabilité dans les spectacles, en termes de décors, de déplacements…
Par quels moyens répondez-vous à ces enjeux ?
• Aurore Stalin : Je me penche sur les artistes, les nouvelles relations au vivant et comment se replacer en tant que vivant parmi les vivants. J’ai alors créé des rencontres avec des personnes liées au milieu artistique, mais aussi des scientifiques. L’idée est de proposer différents points de vue. J’ai mis en place des résidences pour que ces acteurs partagent leur processus, leurs projets et créent des espaces de création !
Créer in situ est-il important ? Aujourd’hui, jouer sur une « scène » est-il obligatoirement nécessaire pour une représentation artistique ?
• Lisa Fouché : Non et nous le constatons particulièrement avec les arts de rue ! Reprendre ce qui nous entoure et s’en contenter est une manière de re-poétiser des espaces délaissés. L’attractivité des villes questionne le paysage urbain, on a envie de se saisir des espaces périphériques, des espaces qui vont être sujets à des bouleversements. Ce sont ces moments-là et ces espaces-ci que nous figeons. Comment traverser ce paysage urbain autrement, comment le valoriser ? Voilà ce qui nous questionne.
• Aurore Stalin : Nous remarquons que de plus en plus d’artistes vont sur ces terrains extérieurs. Il y a toujours cette opposition : urbain et naturel et ce dernier est davantage sollicité. Depuis la création de Slow Danse, cette thématique de la nature et de l’environnement est importante dans l’émergence des propositions.
Pourquoi privilégier le format de la « marche » avec le public ?
• Aurore Stalin : C’est un format percutant qui décadre et offre une expérience inclusive partagée avec les publics. Nous explorons d’autres chemins pour voir la ville avec des cheminements moins balisés ou à baliser. La place du piéton dans la ville est compliquée, on fait attention aux vélos, aux voitures, à la sécurité, nous sommes moins attentifs à ce qu’on traverse, aux végétaux… Comment peut-on être captivé simultanément par tout cela ? Les personnes marchent avec utilité, pour le boulot, pour les courses mais rarement pour s’aérer. Comment créer d’autres mouvements riches pour le corps, pour les idées, pour notre bien-être ? C’est également pour ça que j’ai contacté Lisa au printemps. Elle travaillait la question de la marche et du paysage dans son mémoire.
Justement, comment on « décadre » ?
• Lisa Fouché : Par le biais de balades sensibles ! Nous faisons attention aux bruits, à la route. Tout ça donne un autre sens au paysage. D’une certaine manière, nous sommes goûteurs de ce qui nous entoure, on s’intéresse au minuscule. La notion d’arpentage, de dérive et de hasard trace un nouvel horizon. En créant des lignes, en décadrant le regard, en regardant plus loin et plus près, nous le changeons. Les odeurs, les sons t’ouvrent aussi sur un site géographique.
Quel sera le déroulé de ce workshop ? (NDLR : l’entrevue s’est déroulée avant le workshop, annulé en raison de la situation sanitaire fin juillet 2021)
• Aurore Stalin : Nous allons d’abord convoquer des participants autour de leurs différentes affections et envies d’explorer la ville. Puis nous mettrons en lumière ce qui nous interpelle, les points paysagers, invisibles ou non que l’on rencontre lors d’une promenade. Par un arpentage chorégraphique, par un protocole de lecture corporelle, on mettra en exergue les manières de voir et de marcher les territoires notamment avec Thierry Blouin de l’Institut Géographique National de l’édition des cartes, le temps d’une initiation à la lecture cartographique…
Ce workshop sera accompagné d’une carte blanche que vous offre Transfert.
• Aurore Stalin : Oui, nous avons plusieurs propositions en déambulation sur le site de Transfert et ses « marges ». On commencera avec l’atelier « Des Mots Pour Demain » porté par la Turbine, une association nantaise. Par le biais de la lecture de textes, nous cueillerons des mots pour y déceler un vocabulaire futur et commun, plus résilient et positif. On y pensera « l’après », on parlera des différents sujets de transitions en sollicitant différents intervenants.
Nous parlions tout à l’heure de créer in situ ; le site de Transfert s’avère-t-il être propice à ces nouvelles représentations et créations ?
• Aurore Stalin : On peut déambuler dans Transfert avec des approches artistiques différentes et surtout montrer des espaces dont nous n’avons pas l’habitude ou pas connaissance. Nous travaillons sur le ludique. Lisa a conçu différents jeux sur la course d’orientation, également pour mobiliser les sens. Puis c’est un site d’entre deux en termes de marche, de terrain. Il y a un sol aride, un côté désert contrastant avec la végétation dense des alentours.
Selon vous, ce lieu participe-t-il à la marche de demain ?
• Lisa Fouché : Il a ses horizons, ses perspectives et cette sobriété d’altitude. D’une certaine façon, Transfert laisse un horizon pour la ville de demain.
Interview réalisée par Jeanne Rouxel et Pierre-François Caillaud (rédactrice et rédacteur en chef de Grabuge magazine).
Photo © Margaux Martin’s