Après trois mois de silence (assumé), c’est officiel : Transfert se prépare à accueillir le public dès que cela sera possible ! À partir de quand, quels jours et à quels horaires ? Rien n’est encore gravé dans le marbre, mais l’équipe de Pick Up Production invitera comme elle le peut en fonction des directives gouvernementales, les visiteurs de Nantes et d’ailleurs dans son désert aménagé. Que s’est-il passé chez Transfert durant la crise ? De quoi sera faite cette troisième édition forcément un peu spéciale ?
Interview de Nicolas Reverdito, le directeur de l’association Pick Up Production.
Quel était l’état d’esprit de l’équipe de Transfert avant la crise de la Covid-19 ?
Nous étions au top ! La saison était écrite et la programmation quasiment bouclée. Après deux ans à « subir » ce projet énorme et conçu dans la hâte qu’est Transfert, nous avions acquis de l’expérience et « dompté la bête » !
Dompter la bête ?
Le but de la première saison consistait à révéler le projet au public et lui envoyer des étoiles plein les yeux. La seconde nous a permis de mettre en place le volet expérimental de Transfert. La troisième devait constituer la synthèse de tout ça.
Avez-vous
vu venir le confinement et l’annulation de tous les événements
culturels ?
Comme
beaucoup d’entre nous à l’époque, non ! Le vendredi 13 mars au
soir, on se donnait encore rendez-vous le lundi au bureau. Trois
jours plus tard, tous les salariés étaient cloîtrés chez eux en
télétravail.
Quand
pensiez-vous ouvrir le site à ce moment-là ?
Au
début, nous étions très optimistes, en gardant professionnellement
et personnellement le contact. Le mot d’ordre était « the show
must go on ». Au fur et à mesure des annonces de
plus en plus pessimistes
du gouvernement, c’est devenu plus complexe de s’imaginer continuer
sur la même lancée…
Vient alors la décision de tout annuler ?
Oui, le risque financier était trop important. Depuis des semaines, nous élaborions des plans B qui devenaient des plans C, il fallait sans cesse faire le deuil de nos ambitions. C’était trop de pression et trop démoralisant. Nous avons pris quinze jours pour prévenir tout le monde et rémunérer ceux qui avaient engagé du travail (artistes, graphistes, etc.) pour cette nouvelle saison.
Nantes Métropole et vos mécènes, principaux financeurs du projet, ont-ils participé à cette décision de tout arrêter ?
Non, ils nous ont cependant assuré leur soutien financier et nous ont laissé agir en notre âme et conscience. En réalité, nous les avons peu sollicités pour leur laisser le temps de s’occuper des structures dont la survie immédiate s’avérait incertaine.
Pourquoi
ne pas avoir communiqué au public durant cette période ?
Vu
le nombre de commentaires ou de messages que l’on recevait chaque
jour, ce fut un grand débat en interne. Ça l’est encore ! Ce
n’était simplement pas notre stratégie : on ne se voyait pas
annoncer quelque chose pour revenir dessus quelques jours plus tard,
en fonction d’une actualité qui changeait constamment.
Finalement, vous souhaitez ouvrir Transfert ? Quelles ont été les motivations de ce revirement ?
Début mai, nous commencions à voir la lumière au bout du tunnel, mais on a préféré ne pas s’emballer. Puis avec le déconfinement, la réouverture des parcs, des bars et des restaurants a été autorisée. Notre rôle sociétal nous a naturellement conduits à nous retrouver au bureau le 2 juin pour plancher sur une version adaptée !
Comment définiriez-vous le « rôle sociétal » du projet Transfert ?
Notre objectif est de participer à une réflexion sur la ville de demain à travers notre laboratoire et ses expérimentations ainsi que de créer du lien social pour TOUS les publics. On ne souhaite pas seulement toucher la population qui a toute l’année accès à la culture et à la fête, mais aussi celle qui est isolée de notre offre culturelle. Par exemple, nous avons toujours mis en place une véritable politique d’accès pour les personnes en situation de handicap, et ce n’est pas cette année qu’on va l’arrêter. L’ouverture de Transfert va permettre à tous ces gens de se retrouver, de donner un temps fort à leur été à travers la musique, les animations et les installations artistiques alors que la plupart des événements sont annulés.
Quelle est cette version adaptée de Transfert ?
Depuis le début, Transfert raconte l’histoire de pionniers nomades s’installant dans un désert. Cette année, ces derniers ont dû se confiner, vivre des hauts et des bas avec de gros imprévus. Aujourd’hui, ils se déconfinent entourés de projets qui n’ont pas pu avoir lieu. Ces bâtisseurs peuvent faire quelque chose pour leur territoire, la ville de demain et le fameux « monde d’après ». C’est ce qui va se passer et nous allons être transparents là-dessus en racontant au jour le jour tout ce que l’on vit, même le « off » et les galères.
Concrètement, que va-t-il se passer cette année quant à l’accueil du public et la programmation ?
Nous ferons ce que l’on peut avec nos moyens et les contraintes liées à la Covid-19. Le jour de l’ouverture sera-t-il une grande fête ou une « balade au parc » avec un bar et un DJ ? Nous n’en savons encore rien. L’idée sera de ne pas se la raconter. Au départ, toute l’équipe mettra les mains dans le cambouis. Si l’ouverture génère de l’économie, celle-ci sera directement réinvestie dans le renfort en personnel et la programmation. Nous revendiquons l’étiquette « work in progress » de cette édition. Ce n’est pas évident à assumer pour nous et nos collaborateurs, car nous sommes des professionnels qui ne travaillons pas comme cela habituellement.
Qu’entendez-vous par « ne pas se la raconter » ?
Rester humble ! On ne sait pas ce qu’il va se passer, on ne peut rien promettre… Et si le public a envie de fête, nous savons aussi que certains ont récemment vécu des drames familiaux et que d’autres acteurs culturels comme les festivals d’août de moins de 5 000 personnes ont peut-être l’amertume d’avoir annulé leur événement pour rien.
Comment anticipez-vous la réaction du public face à cette saison « en chantier » de Transfert ?
Certains viennent jouer à la pétanque, d’autres viennent pour la programmation et sont ravis. Parfois, des visiteurs trouvent « qu’il n’y a rien à faire ici », c’est le moment pour eux de proposer quelque chose et de s’approprier le projet. On a de la place ! Si un glacier n’a pas d’endroit où s’installer, qu’il vienne à Transfert. Si une compagnie de danse cherche un lieu, pareil. Nous serons au service de tous, mais on ne pourra rien promettre. L’idée n’est pas que tout cela se transforme en « fête à neuneu », mais en même temps, pourquoi pas ? Le fonds du projet reste de proposer une place publique. Cette situation particulière va sûrement remettre en question nos codes d’exigence.
Anticipez-vous que de nouvelles idées naissent cette année et puissent définitivement intégrer Transfert les années suivantes ?
Bien sûr ! Depuis trois ans, nous avons enchaîné les projets sans prendre de recul. Cette crise et ce temps d’arrêt ont permis d’identifier notre rôle. C’est aussi pour cela que l’énergie de notre équipe et de nos collaborateurs est folle ! Sans ça, cette ouverture était impossible.
Au début de l’interview, vous parliez d’un « Plan A » qui devenait un « Plan B » qui se transformait en « Plan C » etc. Cette nouvelle formule est-elle votre « Plan Z » ?
Ce sera le « Plan A à Z » ! Tous les jours seront différents. Mais au fond, je sais qu’on ne pourra pas s’empêcher, à l’occasion, de mettre quelques étoiles dans les yeux !
Interview réalisée par Pierre-François Caillaud (Grabuge Magazine)
Photo © Pick Up Production