Fondateur de Dixit, une agence de conseil et d’innovation pour la transformation de la ville, Sylvain Grisot milite pour une ville frugale, résiliente et accueillante. Après la sortie de son livre Manifeste pour un urbanisme circulaire au début de l’année 2020, il interviendra lors de la prochaine Rencontre Éclairée de Transfert, le 25 juin prochain.
En opposition à la politique de l’étalement urbain, vous prônez un urbanisme circulaire. Définissez-nous cette notion.
Dans la même logique que l’économie circulaire, il s’agit d’éviter que les matières premières d’une ville terminent « à la poubelle ». Pour résumer, il faut faire plus, mais sans construire. Cela passe d’abord par une intensification des usages des bâtiments, par exemple l’occupation transitoire ou temporaire, mais aussi par la transformation de l’existant pour enfin opérer un recyclage foncier complet lorsqu’un espace urbain est « en bout de vie ».
L’étalement urbain est-il le symptôme d’une mauvaise orientation globale de la construction de la Ville ?
Oui, nous démolissons, nous reconstruisons par dessus, mais nous ne réemployons pas ! Aujourd’hui, le seul système que l’on arrive à industrialiser, c’est malheureusement de faire du neuf et de l’extension. Certains entrepreneurs construisent actuellement des logements bio-sourcés et peu consommateurs d’énergie, mais si c’est pour les installer en périphérie avec des habitants qui doivent acheter deux voitures et faire 60km par jour pour aller travailler, ça n’a aucun sens ! Toute l’énergie économisée est largement dépensée en transport automobile.
Pourquoi l’industrialisation de concepts plus circulaires est-elle compliquée ?
Parce que chaque territoire est différent ! Cela prend du temps car on ne peut pas tout standardiser. D’ailleurs, nous voyons bien que lorsqu’on pose des « maisons modèles » achetées sur un catalogue, c’est souvent ridicule ! Il faut créer de nouveaux métiers, de nouvelles compétences et que nous effectuions une transition autant individuelle que collective pour basculer dans une nouvelle ère de « ville frugale ».
Pour créer cette ville, faut-il déjà « connaître » sa ville ?
On observe un réel problème de connaissance de la ville et de son potentiel de renouvellement.
Rares sont les territoires qui connaissent le taux d’occupation de leurs bâtiments publics, par exemple. Aujourd’hui, les villes possèdent énormément de foncier disponible dont elles ne font rien.
L’étalement urbain que vous fustigez est-il une conséquence de l’apparition de la voiture ?
Oui, c’est cette dernière qui permet d’habiter loin de son lieu de travail. Résultat : nous avons arrêté de faire de l’urbanisme parce que la voiture l’a fait à notre place !
Le problème ne vient-il pas de la concentration de l’emploi dans les métropoles ?
Vous partez de l’idée sous-jacente que le principal motif de mobilité est le travail, or c’est faux ! Même s’il structure notre pensée et nos choix de localisation, le chemin du travail à l’habitat représente moins de la moitié de nos déplacements. On a concentré l’emploi et la résidence dans des lieux différents car nous concevons malheureusement la ville comme monofonctionnelle avec des zones de travail, d’habitation, de loisir et de commerce différenciées. Il faut arrêter ça !
Quelles seraient les alternatives à cette manière de concevoir la ville ?
À l’évidence, l’industrie de demain ne sera pas celle d’hier. Notre consommation et notre production seront plus locales et donc plus petites. On oublie souvent qu’une grande partie des commerces de ville ne sont que des distributeurs possédant une faible valeur ajoutée. Si l’on revient sur des biens moins standards et façonnés ou au moins transformés sur place, nous allons ramener d’autres formes d’emplois bien plus utiles que de simples vitrines. Il peut y avoir de la production dans les villes, comme il ne faut pas systématiquement essayer de transformer chaque ville en métropole.
Comment observez-vous cette opposition ville/périphérie qu’on essaye de cristalliser durant ce ralentissement ?
Je n’y crois pas ! Il y a de l’avenir partout, c’est bien plus complexe. On voit que ce ne ne sont pas les pubs dans le métro et tout l’attirail du marketing territorial qui font venir les gens en province. D’ailleurs, si les Parisiens sont partis sur la côte au début du confinement, ce n’est pas pour l’excellence du service de réanimation de Belle-Île-en-Mer, mais simplement parce qu’ils n’avaient pas compris que l’épidémie était grave, sinon ils seraient restés à proximité d’un hôpital.
Quelles pourraient être les leçons à retenir de cette épidémie en terme d’urbanisme ?
J’espère que cela va pousser à des choix radicaux en terme d’orientation de choix économiques, peut-être à s’avouer qu’on a un problème de dépendance à la voiture et au pétrole. D’ailleurs, nous avons tous vu que ceux qui faisaient tourner la ville avaient des problèmes pour y accéder avec des transports en commun au ralenti, justement parce qu’ils ne peuvent plus habiter la ville et qu’on ne règle pas le problème de l’augmentation des valeurs immobilières. Les familles qui ont un salaire « normal » sont projetées en périphérie.
Plus tôt nous évoquions l’occupation des friches. Pouvons-nous déjà définir ce qu’est une friche urbaine ?
La friche est un temps d’arrêt dans un cycle, il est intéressant seulement quand il est court et lorsqu’il s’y passe des choses. La reconquête, légale ou illégale, de ces friches urbaines constitue toujours un moment intéressant. Dans bien des cas, on néglige que l’utilisation d’une friche n’est pas forcément un usage urbain, mais aussi un usage écolo dans une logique de naturalisation que je ne trouve pas moins illégitime qu’une action culturelle. Le confinement a montré que nous avons besoin de végétal et de parcs dans la ville, même si au moment où nous en avions le plus besoin, ils ont été fermés, c’est stupide.
Comment observez-vous l’occupation du site des anciens abattoirs de Rezé par Transfert ?
C’est une véritable démarche opportuniste, dans le sens premier du terme, c’est-à-dire qu’ils sèment des graines très tôt et ils observent ce qui prend ou non, le tout dans une démarche d’apprentissage qui implique l’erreur. Ce qui est intéressant, c’est lorsque cette expérimentation nourrit le projet qui arrive ensuite. Est-ce que ce sera le cas ? Il est trop tôt pour le dire, mais l’objectif d’un projet comme celui-ci est vraiment de regarder ce qu’il se passe là-bas « pour de vrai », quoi que l’on ait envie de faire au départ, et de suivre cette direction.
Vous militez pour une « ville résiliente » : comment définissez-vous cette ville ?
C’est une ville qui peut encaisser les chocs, mais aussi s’adapter en continu aux besoins. Aujourd’hui, il faut se concentrer sur ce que l’on sait faire, prêter attention à ce qui est déjà là. Nous possédons déjà les savoir-faire, il faut juste se réorganiser. C’est sûr qu’on va couler moins de béton et investir dans l’intelligence, ce n’est pas la même matière grise.
À quels types d’oppositions vous confrontez-vous ?
Certains ont des intérêts financiers à ce que l’urbanisation reste comme elle est, je peux le comprendre. D’autres ont tout simplement peur du changement, ce que je comprends aussi. Personnellement, j’ai choisi de ne pas perdre de temps avec les réfractaires ! Un des avantages de Greta Thunberg, c’est d’être un véritable détecteur de vieux cons et je ne veux pas me fatiguer avec eux. Je passe du temps avec ceux qui doutent ou qui veulent savoir. Manifeste pour un urbanisme circulaire aurait dû se vendre à 200 exemplaires, on aurait pu croire que ces sujets n’intéressent personne, mais nous avons déjà atteint les 2 000 ventes, on sent qu’il se passe quelque chose. C’est impossible de convaincre tout le monde et ça ne sert rien. Il faut juste atteindre la masse critique qui nous permet de constituer une majorité pour agir.
Interview réalisée par Pierre-François Caillaud
Photos © Benjamin Lachenal – Nd Médias