Spécialiste de l’objouet (contraction de « jouet » et « objet »), le collectif Camping Sauvage est responsable du toboggan le plus apocalyptique de l’Ouest ! Ce crâne géant de vache n’a pas que des enfants qui lui passent par la tête, mais bien le désir d’une culture libertaire et sans contrainte. Entretien avec l’artiste nantais David Bartex.
Avant de devenir artiste et d’en faire ton métier, quel a été ton premier contact avec l’art ?
David : Enfant, on te laisse une certaine période d’adaptation où l’on t’autorise à exprimer ta créativité en te donnant des crayons et du papier. Et bien, c’est ce que je préférais (rires) ! Ensuite, on te restreint en t’expliquant que tu vas t’asseoir huit heures par jour comme tes parents et que tu devras trouver un métier dans les matières qu’on t’enseigne. J’ai rapidement pris conscience du pouvoir de reproduire les choses et d’en créer pour abandonner le lycée et intégrer la compagnie Royal de Luxe, voyager à travers le monde, tout ça en autodidacte.
As-tu toujours vécu de cette passion ?
D : Je n’ai jamais retourné ma veste, même s’il y a parfois des moments difficiles ! J’en bave à chaque fois que je reviens à Nantes, car en France, il faut toujours refaire tes preuves si tu n’es pas dans les petits papiers d’untel ou untel. Ici, on aime montrer les artistes, pas ce qu’ils font, c’est pour cela que certains se reposent sur leurs lauriers ! J’ai notamment vécu en Amérique du Sud. Là-bas, il y une volonté de faire, même sans moyens. Parfois, ils auraient mieux fait de s’abstenir (rires), mais ils font moins de réunions interminables avec des cabinets de communication.
L’année dernière, tu avais déjà travaillé avec Pick Up Production sur Entrez Libre, l’exposition temporaire de l’ancienne prison de Nantes. Qu’en as-tu retenu ?
D : C’était un sujet pesant, pas très glamour, nous nous demandions comment le public allait réagir. Finalement, on a eu plus de 100 000 visiteurs en deux mois, du jamais vu à Nantes ! Quand Pick Up Production nous a lancé sur Transfert, on voulait faire un « Steak Park » avec des jeux pour enfants en forme de saucisses, de poulets accrochés avec des crocs de boucher pour faire référence aux anciens abattoirs. Ça les faisait marrer, mais ils voulaient sortir du passif du lieu. Finalement, on a opté pour ce toboggan en forme de crâne de vache qui correspond à la touche désertique qu’ils voulaient mettre en avant, tout en faisant un clin d’œil à tous ces beaux animaux qui nous ont quittés (rires).
Les acteurs de Transfert sont-ils dans le fameux « faire » que tu évoquais tout à l’heure ?
D : Complètement ! Tous les artistes ont travaillé comme des fous sur ce chantier de l’apocalypse. Cela nous a usés entre nous, mais depuis que c’est ouvert, ça va mieux (rires). Transfert prend des risques, c’est une mini-ville utopique et libertaire dédiée à la création où la culture retrouve son essor. Il peut s’y passer beaucoup de choses, surtout si l’on implique les gens du quartier, mais pas de manière démagogique comme le font souvent les politiques ; il faut le vouloir et le faire réellement.
Comment expliques-tu que cette liberté artistique soit de plus en plus difficile à maintenir ?
D : L’économie prend malheureusement toujours le dessus, donc les choses consensuelles sont toujours plus soutenues. On nous dit qu’il est dangereux de traverser hors des clous, d’avoir des idées farfelues, de réfléchir, on nous met dans un perpétuel état d’urgence qui nous abrutit et nous bloque dans les rails. Demain, pour aller dans un toboggan, il faudrait mettre des coudières, demander l’autorisation écrite des parents et mettre deux vigiles autour…
Peut-on créer un espace libertaire financé par des institutions ?
D : Je l’espère ! Bien sûr, il faut que ce lieu soit familial et populaire, mais il ne faut pas que ce soit quelque chose de trop propret qui ressemble à ce qui a déjà été fait, comme le Voyage à Nantes. L’art est là pour revendiquer, critiquer la société, prendre du recul, bref tout ce que les gens n’ont pas le temps de faire habituellement ! Si c’est pour faire une attraction « clé en main » où rien ne déborde, autant faire comme les autres, c’est-à-dire regarder le gotha de l’art contemporain et sélectionner les cinq premiers ou ceux qui ne sont pas réservés pour l’été (rires).Cette ville a longtemps été dédiée à la culture et aux électrons libres, mais les gens vieillissent, s’embourgeoisent et révisent leurs positions.
Quel est le rôle de l’artiste dans tout ça ?
D : Les gens ne savent plus qu’on peut aimer ce que l’on fait ! On passe tellement de temps à gagner notre vie au lieu d’en profiter… La vie, on la gagne en naissant ! Les artistes bossent souvent comme des dingues pour des clopinettes, car ce n’est pas considéré comme un vrai travail et nous n’avons pas d’horaires fixes, mais nous montrons que l’on aime travailler, produire quelque chose qui peut donner du plaisir sans que l’argent soit une finalité. C’est presque dangereux aujourd’hui !
Propos recueillis par Pierre-François Caillaud (rédacteur en chef du Magazine Grabuge).