Végétarisme, véganisme ou Vegeta, les végétaux sont dans toutes les bouches et bientôt à Transfert ! Nicolas Galin, paysagiste et apprenti sorcier missionné à la végétalisation du site, nous raconte comment un désert hostile va prochainement se transformer en faune.
Tu as vécu 25 ans à Vitry-sur-Seine, qu’est-ce qui t’a poussé à t’installer à Nantes ?
J’étais curieux de voir ce qui se passait hors de Paris. Et comme j’étais nul en langues étrangères, je suis resté en France (rires). La ville de Nantes se transforme, c’est un endroit qui réussit aux paysagistes. Et culturellement, j’y trouve mon compte, Transfert en est la preuve ! Il y a ici une grande part laissée au rêve, au dépaysement, voire à la folie. Lorsque tu ressors de Transfert, c’est comme si tu étais parti en vacances à l’étranger, il n’y aucun code de chez nous. En plus, il fait extrêmement chaud en ce moment, on n’est même plus en Loire Atlantique (rires).
Justement, comment es-tu arrivé sur le projet Transfert ?
Via Julien Blouin, consultant en agriculture urbaine, que Pick Up Production a sollicité afin d’implanter de la végétation pour accueillir les nomades dans cet oasis désertique. Au début, nos échanges tournaient autour de la scénographie, puis nous avons très vite abordé l’écologie, l’histoire de la ville et du lieu. La question était : « Quel est le sens d’implanter la vie sur ce site ? »
La réponse ?
Elle est surtout constituée de questions (rires) ! Géographiquement, nous sommes dans l’un des endroits les plus fertiles et submersibles du département. Mais dans les années 50, on a construit la route de Pornic et des plates-formes qu’il a fallu protéger des marées. On a donc créé un désert artificiel avec des terre-pleins en pompant des sables de Loire. Le sol a alors gagné 4 mètres de haut. Puis sont arrivés les abattoirs, un symbole de la consommation de masse. On en a tous profité, mais cela reste une industrie de la mort. Le site est construit sur les ruines de cela. Ce que tu as sous les pieds n’est pas constitué que de cailloux, mais d’un abattoir broyé !
Alors, comment créer la vie sur de la mort ?
C’est un exercice expérimental qui, je l’espère, survivra à Transfert. Avec Pick Up Production, on est parti d’un état des lieux : notre espèce est si interventionniste qu’elle a créé un désert et un écosystème. On va arrêter les frais, composer avec sans chercher à le déconstruire, puis en tirer parti et l’exacerber.
Et créer « l’écosystème Transfert » ?
Oui, il est à inventer ! On interroge toute la palette végétale des déserts américains et asiatiques. Nous intervenons sur le sol et créons une variété de massifs dans lesquels on amène des matières organiques servant de nourriture aux plantes. On part d’abord de végétaux dont nous sommes certains qu’ils s’acclimateront pour aller vers la difficulté et les végétaux exotiques. Impossible de savoir s’ils résisteront au public, à l’hiver etc. Il y aura forcément des écueils, mais c’est une expérience qui n’est possible qu’ici !
Les végétaux vont devoir s’adapter au lieu, c’est presque…
…Politiquement incorrect pour un projet écologique ! Habituellement, lorsqu’il n’y a pas de terre, on pioche ces ressources essentielles dans les milieux ruraux pour les amener en ville. Comment faire autrement ? C’est le défi ! Nous n’avons pas encore la solution, c’est pour cela que nous faisons appel à des « spécialistes » (des maraîchers, des architectes, même des artistes…) car nous, les paysagistes, ne sommes que des « médecins généralistes ».
Justement, qu’est-ce qui t’a poussé à devenir « généraliste » des végétaux ?
J’ai toujours été curieux et voulu témoigner de mon époque, je voulais d’abord être journaliste, mais j’avais besoin de « faire ». Le sol, c’est l’oxygène, donc la vie, je ne connais pas de métier plus généreux…
Comment vois-tu le paysagiste de demain ?
Il y aura toujours des villes et des campagnes à construire, mais il y a mille façons de les réfléchir avec intelligence, bienveillance et même avec malice en ayant conscience que la planète et ses ressources ne sont pas un puits sans fond. Aujourd’hui, l’agronomie considère le sol comme un simple support mécanique et chimique dans lequel on met de la potion magique, c’est très néfaste pour l’écologie !
Les mentalités ont beaucoup évolué sur les sujets écologiques. Quel est le principal frein pour une véritable transition sociétale ?
On travaille le vivant, donc le long terme, c’est un métier de patience. Or, les marchés publics attendent souvent de nous une conception, puis un chantier et enfin une livraison. Ensuite, on n’a plus besoin de nous alors que la vie ne fait que commencer ! La conception et la gestion d’un lieu sont indissociables. Malheureusement, on a tendance à compartimenter les deux… Notre société est ingénieuse, mais dans le mauvais sens du terme… On se rassure en créant des cadres de plus en plus réducteurs qui nous ralentissent, alors que les mœurs avancent bien plus vite !
Le projet Transfert constitue-t-il une utopie ?
On est « après » l’utopie. Nous ne rêvons plus, nous faisons !
Propos recueillis par Pierre-François Caillaud (rédacteur en chef du Magazine Grabuge)
Photo © Juliette-Nolwenn Thomas
Photo végétalisation © Jérémy Jehanin